Aleyda Quevedo Rojas
Sélection de poèmes
Traduction de Benjamin Laguierce
Présentation de Miguel Donoso Pareja
La fragilité des limites entre la lumière et l’horreur, la santé et la maladie devient consistance et permanence dans Je suis mon corps, d’Aleyda Quevedo Rojas, où le verbe, c’est-à-dire la poésie, illumine l’obscure splendeur à partir du langage poétique d’un corps malade qui est tiraillé entre la santé et le plaisir, à la subtile frontière du transit, dans l’antichambre du vide silencieux qui enhardit notre besoin de permanence.
Cet ensemble de poèmes constitue une poésie sobre, limpide, nue et sans coutures apparentes, sans supports inutiles. Trompeusement fragile et facile, comme une goutte d’eau ou un morceau de cristal, elle dégage une force capable de reconstruire l’enveloppe humaine en utilisant sa petitesse présumée face à son origine et face à son destin. Tout cela est possible grâce à l’amour, à la solidarité et à la radiante plénitude des mots.
Coupées à minuit
Les fleurs d’été illuminent la chambre de l’hôtel.
Leurs pétales orange excitent
Jusqu’à la douleur,
A cet endroit que les femmes confondent avec :
Le désir,
Le déchirement,
Les défauts.
Les pétales fuchsia et ceux mauves à l’excès
Distraient et finissent par irriter.
Mais moi je suis humide,
Prête pour cette nuit à l’hôtel du monde.
Je foule un jardin d’intimités.
Vertes les branches du feuillage,
Je les suce l’une après l’autre.
La chlorophylle huileuse éveille
Mon envie d’aller au fond.
Mais avant de dormir, je me surprends
A lire les poèmes de Szymborska.
Jamais ne les ai-je vues avec attention —aussi présentes fussent-elles—
Ce sont les mêmes, sauf leurs pétales qui ont mué.
Ce n’est jamais la même fleur après la grêle.
Il y a quelque chose qui transforme ses yeux secs et l’éclat du calice,
Si mystérieusement disposées dans le même jardin.
Leurs corps me parlent tandis que je prépare ma dague
—Coupes nettes—.
C’est chose figeant la beauté de la passiflore ou du romarin noir.
JE NE PARVIENS TOUJOURS PAS À DISTINGUER
Entre le vortex où se rencontrent
La réalité et les sentiments que nous rêvons
Il en est ainsi lorsque
J’essaie de guider le lierre.
Cette plante légère qui affecte
Si lourdement le mur de ma (ta) solitude.
Des plantes et des sentiments étranges
Qui m’attirent, que je peine à comprendre.
À part la sobriété du lierre,
Les plantes du jardin sont enflammées :
Des lys au sang blanc,
Des alkékenges prisonniers de leurs désirs,
Et la menthe, calme humide qui donne un sens
À mes autres rêves, où il n’est point de confusion,
Où il m’est possible de soupirer
Pour commencer un nouveau jour.
JE M’AGENOUILLE DEVANT LE VISAGE DE L’AMOUR
Au fond du puits,
En plein centre
Je respire l’obscurité.
Je m’y lèche comme une gazelle perdue
Qui connaît l’exact point de la douleur.
Je ne suis point séparée de moi-même,
Je suis au fond du puits,
Je connais les blessures de l’amour,
Qui adhèrent parfaitement à mon corps.
J’ARRACHE TOUTES LES FLEURS DE MON CORPS
Pour te les offrir, Seigneur.
C’est là-bas que je vais, plus dénudée sans les minuscules fleurs
De mon torse, plus dévêtue que jamais
Sous les dahlias qui grandissaient en mon dos.
Je saute les pierres aveugles de l’infortune
Et le vent m’aide à parvenir au sable.
Seigneur de l’Angoisse, Tout-puissant,
Je me dépouille de la passiflore même
Et de la couronne d’héliconies qui ornent mon pubis.
Nue tout entière, livrée à toi,
Sans les lys de ma nuque ni les tournesols de mes fesses
Limpide, sans doute une île insondable de mystères
Et plus de roses, ni de marguerites ou de violettes
Eblouies sur mes seins.
Je suis pure, devenue promesse.
Brillante et seule pour me livrer à toi
Dépurée des alstrœmères du sexe,
Dépurée de la fleur bleue du cœur.
SEIGNEUR ! NE M’ABANDONNE POINT
Aux sables des âmes en mouvance
Protège-moi de la folie et de vers de pus.
Regarde-moi, je suis celle des excès,
Cette autre qui t’envoyait des messages depuis le salpêtre.
Garde-moi de tout mal
Et de son amour que je porte tel un couteau entre les jambes,
De mes manières débordées de le chercher
Dans la plus profonde obscurité de la mer,
Des actes de liberté obsessifs.
Garde-moi de moi-même, Seigneur.
Rien plus ne reste de l’enfant que je fus
Ni les prières, ni l’encens,
Tout juste peut-être la même lueur dans les yeux
Ne m’abandonne pas Dieu tout-puissant
Maintenant que mon sexe
Est à portée de mon cœur
Et que je traverse des draps de sable
Coiffée d’une couronne d’épines vertes.
HAÏKU DES OISEAUX
Je prendrai soin de tes oiseaux
Mais je refuse
De faire l’amour encagée.
DES TIGRES DANS MA CHAMBRE
Un océan d’eau
Me parcourt comme un rasoir
Semblable à ton corps insurgé
Qui me transforme en braises
Et aux tigres qui apparaissent dans la chambre
A l’affût de la chair
Comme il m’est nécessaire
Ce rasoir
Aussi ne fus-je point nue
Me rend moite.
POÈME DE CAVAFIS
Lentement
Tu libères ta chaleur
Ta langue
Remplit la fonction
Pour laquelle elle a été créée
Et tu accomplis l’acte
De faire de moi un animal sensible
Si semblable
Au poème infini
Ecrit par Cavafis.
QUELQUES ROSES VERTES
Cette femme aux enchantements
Aux mensonges et
De plâtre
Tisse les bas
Les plus chauds
Pour le jour
De sa mort
Une croix
Une boîte en bois
Quelques roses vertes
Voilà tout ce qui l’attend
Point de peur
De la mort
Je demande seulement
Qu’elle soit juste.
VERRE VIRIL
Le verre bouillit encore
Dans ma bouche
Ma langue vulnérable
Te recherche
Cristal fatidique
Tu as détruit
Mes lèvres
Transparence irremplaçable.
DARD
Une boîte
Renferme sept scorpions
J’ôte le couvercle de mes mains froides
J’imprime en ma rétine leurs corps noirs
Et le dard recroquevillé tel une interrogation
Je ressens le pouvoir de cette question
Prise au piège de la peur et de la beauté.
MUSIQUE JAPONAISE
Oh ! D’horribles passions me traversent le corps
Insupportables sont-elles quand des yeux étrangers y posent leur regard
Au nom du Seigneur tout puissant
Je me dirige au précipice des corps inconnus
Qui m’aiment et qui m’enflamment
Seigneur, ne m’abandonne point aux sables
Des âmes en mouvance
Je suis tienne
Je marche immaculée et nu-pieds en plein désert
Prête à jouir ou à mourir
Par-delà la séduction
Guide mes pas en amour, je te l’implore.
BLANCHE NUIT
En un immense hôpital
Un corps d’épines vêtu
Je suis la virtuelle vierge du désert
Une estampe évanouie par-dessus la peur
Rien plus que moi
Les mains chargées de clous brûlants
A marcher nu-pieds au milieu des dunes
Un immense hôpital n’est qu’un blanc désert
De ma bouche s’échappe le message divin
Mais nul ne m’entend ici bas.
DECHIFFRAGE DES SIGNES
Je me regarde mais ne parviens pas
A me déchiffrer
J’appartiens au signe du Verseau
Et par le savoir des chinois
C’est un rat qui prend soin de moi
D’une certaine façon
Le soleil et la pluie sur mes lèvres
M’ont permis de croire encore
Aux signes et aux aveugles
Je regarde
A mon alentour
Les oiseaux tremblent
Plus grandioses
Plus terrifiants que moi auprès d’un homme
Je résiste
A ne sais-je combien de guerres
Verseau et rats
M’ont remis la blancheur de la nuit
Ce qui est en moi
Un tatouage de fin de journée
Des délires qui me brûlent
Un pubis solaire
Je me regarde à nouveau
Je commence à me déchiffrer.