Joute de traduction à Lire en Poche : compte-rendu de la participation de Benjamin Aguilar-Laguierce
Le samedi 7 octobre 2023 s’est tenue la joute de traduction organisée par Matrana (Maison de la Traduction en Nouvelle-Aquitaine) au salon Lire en Poche de Gradignan.
Le concept de joute de traduction
Le concept de joute de traduction naît par une initiative de l’ATLF (Association des Traducteurs Littéraires de France) en 2014 avec pour idée de rendre visible le travail du traducteur.
Véritable débat interactif, les joutes de traduction mettent sur le devant de la scène ceux qui sont d’habitude cachés derrière les pages des livres qu’ils traduisent, les artisans de l’accessibilité de la littérature internationale : les traducteurs littéraires.
Il s’agit d’initier le public au travail de traducteur en mettant sous les feux des projecteurs les différentes approches employées par ces professionnels de la langue.
Les traducteurs participant à la joute
Benjamin Aguilar-Laguierce, traducteur professionnel et président du directoire de 9h05 Group, a participé à la joute qui a eu lieu le samedi 7 octobre 2023 au salon Lire en Poche de la ville de Gradignan en Gironde. Il se mesurait à Anne Plantagenet, lauréate du prix de littérature traduite du salon Lire en Poche, avec une modération d’Anaïs Goacoulou.
Le texte objet de la joute de traduction
La joute de traduction portait sur le texte « La doncella y la muerte », une nouvelle de Mariana Enríquez (1973, Buenos Aires — Argentine) publiée dans son recueil de nouvelles Alguien camina sobre tu tumba en 2013 aux éditions Queleer.
Le déroulé de la joute
Entourés d’un public aussi nourri qu’intéressé, les traducteurs ont débattu pendant près de deux heures autour de leurs choix de traduction, les stratégies employées, le raisonnement se cachant derrière les tournures adoptées, ou encore les modifications qu’ils pourraient apporter.
En tout premier lieu interrogés au sujet du temps employé, Anne Plantagenet et Benjamin Aguilar-Laguierce ont expliqué tour à tour la vision qui les a poussés à recourir à des temps diamétralement opposés.
Anne Plantagenet expliquait que son choix du passé composé se justifiait par une certaine connaissance de l’autrice et voyait dans le texte la spontanéité de l’oral.
De son côté, Benjamin Aguilar-Laguierce faisait savoir que son choix du passé simple se basait sur un tournant interprétatif en milieu de nouvelle (« mais tout cela, c’est du passé, maintenant ») : la narratrice raconte un premier amour dans la nostalgie de son présent, un premier amour issu d’un passé qui ne reviendra plus et qui est entièrement révolu.
Il ajoutait que le style de la narration n’était pas empreint de familiarité, ce qui abondait dans le sens du passé simple.
La modératrice s’arrêta ensuite sur certaines stratégies de traduction ayant conduit à des résultats en apparence opposés mais qui rendaient tous deux le sens du texte. Elle faisait noter aux traducteurs, à titre d’exemple, les choix de traduction suivants :
Cela dit, je savais qu’il existait. |
Sabía, sí, que existía. | Je savais, en revanche, qu’il existait. |
Traduction de Benjamin Aguilar-Laguierce | Original | Traduction d’Anne Plantagenet |
J’avais parcouru de long en large celui de La Plata, avec ses pyramides et ses sphynx (il est truffé de francs-maçons) et un peu moins celui de Recoleta… | Había recorrido intensamente el de La Plata, con sus pirámides y sus esfinges (está sembrado de masones) y bastante el de Recoleta… | J’avais parcouru intensément celui de La Plata, avec ses pyramides et ses sphynx (il est truffé de francs-maçons), et pas mal celui de Recoleta… |
Traduction de Benjamin Aguilar-Laguierce | Original | Traduction d’Anne Plantagenet |
Je m’assis au milieu des tas e gens qui s’étaient rassemblés autour du violoniste et je restai là jusqu’à ce qu’il me voie. | Me sentéentre el montón de gente que se había juntado alrededor del violinista y simplemente me qué hasta que él notó mi presencia… | Je me suis assise parmi la foule qui s’était rassemblée autour du violoniste et suis tout bonnement restée jusqu’à ce qu’il remarque ma présence… |
Traduction de Benjamin Aguilar-Laguierce | Original | Traduction d’Anne Plantagenet |
Conclusion de la joute de traduction
Pendant près de deux heures d’intenses débats, les deux traducteurs se sont mesurés et ont montré au public que la traduction est un art complexe qui demande du temps, de la patience, une certaine sensibilité pour les mots et une grande connaissance non seulement de la langue, mais également du contexte dans lequel intervient l’œuvre à traduire.
Ils ont tous deux fait preuve de talent et la joute s’est soldée par un résultat ex aequo.