EN RELISANT LES ANAGRAMMES DE SAUSSURE. POUR UNE SEMIOLOGIE DES « FIGURES SONORES ».
Federico BRAVO
Mais cette lettre comment faut-il la prendre ici ? Tout uniment, à la lettre.
J. Lacan, L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud.
Dans une lettre datée du 14 juillet 1906, Ferdinand de Saussure, après plusieurs mois de recherche consacrés à l’étude du Saturnien, ce vers énigmatique qui n’obéit à aucun schéma connu de la métrique classique et dont il croit être enfin parvenu à perce le mystère, écrit dans un état de fébrilité :
…je puis vous annoncer que je tiens maintenant la victoire sur toute la ligne. J’ai passé deux mois à interroger le monstre, et à n’opérer qu’à tâtons contre lui, mais depuis trois jours je ne marche plus qu’à coups de grosse artillerie […] c’est par l’Allitération que je suis arrivé à tenir la clef du Saturnien autrement compliqué qu’on ne se le figurait. Tout le phénomène de l’allitération […] qu’on remarquait dans le Saturnien, n’est qu’une insignifiante partie d’un phénomène plus général, ou plutôt absolument total. La totalité des syllabes de chaque vers Saturnien obéit à une loi d’allitération, de la première syllabe à la dernière ; et sans qu’une seule consonne […] une seule voyelle […] une seule quantité de voyelle, ne soit scrupuleusement portée en compte. Le résultat est tellement surprenant qu’on est porté à se demander avant tout comment les auteurs de ces vers […] pouvaient avoir le temps de se livrer à un pareil casse- tête : car c’est un véritable jeu chinois1…
A l’euphorie de la découverte succèderont l’incertitude, le découragement et même –on le devine en parcourant la correspondance du maître avec son disciple et confident Antoine Meillet – une forme de lassitude qui, malgré l’état d’avancement de son enquête avec, au total, une centaine de cahiers manuscrits consacrés au sujet, le fera renoncer à la publication de ses recherches, définitivement abandonnées en 1909. Si nous n’en connaissons pour l’essentiel que les extraits réunis par Jean Starobinski, le lecteur de ces cahiers est singulièrement frappé par le souci d’autocritique qui anime l’auteur tout au long de la réflexion et par le questionnement incessant auquel Saussure, tiraillé entre le doute et la conviction, soumet ses propres hypothèses de travail. Jouant tour à tour le rôle de Cratyle et celui d’Hermogène, Saussure s’érige lui-même, tout au long de la démonstration, en contradicteur des postulats qu’il énonce en devançant, au fil de ses analyses, les objections que le lecteur pourrait lui opposer. Certains passages, où Saussure donne la parole à son contradicteur imaginaire, se présentent d’ailleurs sous forme de dialogue, et l’on peut se demander si ce genre argumentatif n’aurait finalement pas mieux convenu au projet de l’auteur, tellement les hypothèses formulées sont nombreuses et leur mise en débat systématique. C’est à ce contradicteur imaginaire que Saussure, remettant entièrement en question sa théorie de l’anagramme, fait dire par exemple : « C’est clair, vous continuez [la recherche anagrammatique dans un texte] jusqu’à ce qu’il y ait une telle masse de syllabes en ligne qu’inévitablement l’hypogramme se réalise par hasard […]. Le hasard peut tout réaliser en trois lignes. » « C’est faux –rétorque Saussure –, et la meilleure preuve est que la moitié des anagrammes que nous prétendons vrais ne peuvent pas être obtenus en moins de six lignes ou davantage ». « Alors – poursuit l’alter ego de Saussure –, du moment que vous ne restez plus dans les trois lignes, les chances s’accumulent à un degré qui rend tout possible »2. A travers ces considérations techniques c’est le statut de l’anagramme en tant que procédé de composition poétique qui est problématisé : en effet, « l’anagramme est-elle une propriété textuelle ou une chimère lectorale ? »3. Ainsi se profile l’une des questions, pour ne pas dire la question sur laquelle Saussure, dans sa quête acharnée de preuves irréfutables4, ne cessera de revenir tout au long de son enquête pour essayer de démontrer que ces noms propres de divinités, de héros et de personnages que l’on peut lire disséminés dans les vers anciens ne sont pas nés du hasard ni du caprice du lecteur. Car la question qui, au fond, sous-tend toute la réflexion de Saussure est celle de la légitimation d’une démarche qui paradoxalement voue un attachement absolu à la lettre mais qui, en même temps, semble ouvrir la porte à la manipulation du texte, le problème étant de savoir où se termine l’anagramme en tant que procédure de l’écriture et où commence, à la réception, la spéculation du lecteur.
Si malgré une bibliographie abondante5 j’ai choisi d’aborder, dans le cadre de cette rencontre consacrée aux théories du texte et aux pratiques méthodologiques, la question de l’anagramme, c’est tout d’abord parce que, loin d’être confinée au décryptage de quelques signifiants onomastiques, la théorie de l’anagramme non seulement se fonde sur une théorie du texte, mais se construit elle-même comme une théorie du texte. S’il est vrai qu’en découvrant le principe ordonnant les hymnes védiques, du vers saturnien, de la poésie germanique allitérante, Ferdinand de Saussure a contribué d’une manière décisive au dégagement et à la reconstruction d’une poétique indo-européenne, l’intérêt de la théorie de l’anagramme réside, autant que dans la découverte elle-même, dans ce que cette découverte a permis de comprendre sur les mécanismes psycholinguistiques qui sont à l’œuvre dans le processus de création. En effet, ce que Saussure a mis en lumière en signalant la présence de structures onomastiques ensevelies sous les vers des poètes latins c’est surtout, comme l’a justement souligné Thomas Aron, « un fonctionnement autre du texte, et du langage dans le texte »6. Mais l’anagramme, dont la prolifération peut entrainer, comme l’admet Saussure, des risques de surinterprétation ou de sursémantisation du texte, revêt en même temps d’évidentes implications méthodologiques. Parce qu’elle peut être le lieu d’une manipulation rendant plus ou moins floues, perméables ou mouvantes les frontières entre ce que le texte dit et ce que le lecteur veut lui faire dire, la recherche anagrammatique qui se fonde, comme je l’ai dit, sur une théorie du texte, met aussi directement en cause une déontologie de la lecture7. En effet, réfléchir à l’anagramme en tant que procédé d’exploration du texte revient à s’interroger sur les conditions qui en légitiment l’utilisation au cours de l’analyse et sur l’acceptabilité des lectures cryptographiques ainsi mises au jour, question souvent évoquée par la critique postsaussurienne, mais largement escamotée aussi dans la plupart des études qui abordent le sujet.
En effet, alors que la notion d’anagramme, initialement réservée aux signifiants onomastiques, a connu au cours des dernières décennies des extensions successives – du mot à la phrase et de la phrase au discours tout entier saisi dans son « infinité paragrammatique »8 – et alors que son utilisation s’est à la fois généralisée et diversifiée dans les études littéraires, toutes méthodes d’analyse confondues, ce travail n’a paradoxalement pas été accompagné d’une réflexion théorique et méthodologique sur les conditions qui, dans certains cas, fait appel à ce procédé de lecture pouvant lui-même le récuser dans d’autres ou s’autocensurer devant certaines combinaisons qu’il juge difficiles ou problématiques et qu’il finit par écarter de sa lecture.
L’avenir de l’anagramme dépend en partie de la rigueur avec laquelle on surveille ses définitions et emploi [et] surtout […] du doigté9 avec lequel elle sera mise au service d’une approche à même de rendre compte de l’ensemble des conflits qui font et défont le texte10. Mais si tout n’est qu’une question de «doigté», faut-il conclure alors que la démarche anagrammatique est condamnée à rester purement intuitive ? Quelques difficultés que l’on éprouve à définir, méthodologiquement parlant, les garanties dont doit s’entourer l’analyste pour ne pas sombrer, sous l’effet de la « pulsion anagrammatique »11, dans le délire interprétatif, affirmer, comme on le fait parfois, que ce procédé de lecture est aléatoire et que sa pratique est, pour ainsi dire, « dérèglementée », c’est ignorer les règles dont Saussure, au prix parfois d’un certain formalisme, a eu la précaution d’assortir sa théorie12. Il me semble pourtant que l’application de ces lois souvent méconnues et rarement mises à l’épreuve13 pourrait constituer un moyen efficace non seulement pour déjouer dans une première démarche les pièges et les excès de ce que l’on a pu appeler « l’anagrammatisme sauvage »14, mais aussi pour combattre un certain nombres d’idées reçues, à commencer par la prétendue facilité avec laquelle l’analyste parvient à trouver dans le texte, pour peu qu’il s’en donne la peine, tout ce qu’il a décidé d’y trouver.
Une première restriction importante est celle qui émane du principe du diphone. Bien que l’anagramme soit née d’une valorisation à la fois fonctionnelle et esthétique des unités minimales de la chaine parlée ou écrite15, son unité de mesure n’est, le plus souvent et contrairement à ce que laisse penser sa définition courante, ni le phonème ni la lettre, mais une suite de deux, trois, voire quatre de ces unités. En effet la plupart des anagrammes mises en lumière par Saussure ne sont pas de simples combinaisons de phonèmes, mais des combinaisons de combinaisons de phonèmes. Les conséquences sur le plan de l’analyse d’un tel principe sont considérables, car les chances de trouver dans un texte des unités dont la récurrence soit statistiquement parlant significative s’amenuisent à mesure que l’on élargit l’unité recherchée à des complexes phoniques et que l’on passe de la recherche d’un monophone à celle d’un diphone, d’un triphone ou d’un tétraphone. L’anagramme Falerni que Saussure détecte sous le vers FAcundi cALices hausERe ALtERNI est, peut-on dire, d’autant plus « plausible » qu’elle se présente sous la forme de syllabogramme et que le mot alterni contient tout entier le tétraphone erni qui, à lui seul, « imite » et rappelle paronymiquement le mot- thème. Il ne s’agit pas cependant de nier la légitimité de l’anagramme considérée dans sa manifestation minimale en tant que mot obtenu par permutation des lettres d’un autre mot, ni de minimiser l’intérêt d’associations parfois heureuses (chien / niche, Marie / aimer, etc.) auxquelles ce type de dérivation peut donner lieu, comme c’est le cas lorsqu’Antonio Machado fait dériver dans ses poèmes blanco à partir de balcón (Del abierto BALCÓN al BLANCO muro), máquina à partir de camina (El tren CAMINA y CAMINA, / y la MÁQUINA resuella), violines à partir de livianos (con LIVIANOS acordes de VIOLINES) ou tahúres à partir de truhanes (fulleros y TRUHANES, / caciques y TAHÚRES)16. Mais il s’agit là de jeux ponctuels dont la portée ne dépasse pas les limites du mot. Or l’anagramme, telle que la conçoit Saussure, n’est pas une figure du mot, mais bien une figure du discours tout entier.
Prenons pour exemple le poème lorquien San Rafael17, dont le sous-titre Córdoba, lui-même sept fois actualisé dans le texte, semble fournir la trame conductrice des quelque cinquante vers mis sous sa tutelle. Alors qu’aucun des signifiants actualisés dans la poème n’est à proprement parler l’anagramme du signifiant Córdoba, le discours ne cesse d’y renvoyer anaphoriquement, tant par la répétition que par la répartition dans le texte des phonèmes obtenus dans le sous-titre. S’il est vrai cependant que certains vers comme sOBRe lOs ARCOs De tRiunfO ou VenDeDORes De tABACO constituent, pour utiliser la formule de Saussure, de véritables « paraphrases phoniques » élaborées comme autant de variations paragrammatiques sur le même thème, il n’en reste pas moins – c’est, en tout cas, la première objection qui vient à l’esprit – qu’il est toujours possible, en partant de ces mêmes vers mais en sélectionnant d’autres phonèmes et en les combinant autrement, d’obtenir d’autres noms de villes andalouses. Si un relevé statistique des fréquences, phonème par phonème, ne manquerait pas de relativiser la portée d’une telle objection, il ne semble pas que le calcul des probabilités et des fréquences, qui a parfois tenté Saussure18, soit de nature à fournir des données ayant valeur de preuve.
Quelle que soit l’importance de la répétition en poésie, la texture phonique est loin de se confiner seulement à des combinaisons numériques, et un phonème qui n’apparaît qu’une seule fois, mais dans un mot-clef, et dans une position pertinente, sur un fond contrastant, peut prendre un relief significatif. Comme disent les peintres, « un kilo de vert n’est pas plus vert qu »un demi-kilo »19.
Ce qui me parait déterminant ici, bien plus que la récurrence des phonèmes isolés, c’est celle des diphones issus de la décomposition syllabique du mot-thème dont sont littéralement tapissés les vers du poème. En effet les huit diphones que l’on peut obtenir à partir du mot Córdoba y sont représentés : CO (dans Coches, COnfuso, COlumna, junCO, tabaCO, arCOs) + OR (dans ORilla, tORso, flORes, fulgOR, pOR, vendedORes, dORa, chORros) + RD (dans peRDido) + DO (dans DOs, DOnde, Dora, desnuDO, cerraDOs, perdiDOs, vendeDOres, aljamiaDO) + OB (dans sOBre tOBías) + BA (dans llegaBAn, taBAco, buscaBA). Mais on pourra encore objecter qu’un poème de ces dimensions permet toujours de trouver, sans trop de difficultés, à peu près n’importe quelle combinaison de phonèmes. C’est là, me semble-t-il, que les principes formulés par Saussure pour le vers classique peuvent, appliqués à un texte comme celui-ci, fournir mutatis mutandis des garanties à l’analyse textuelle. En effet, Saussure fonde sa thèse du diphone sur trois notions opératoires pour lesquelles il met en place une terminologie tout aussi fonctionnelle, à savoir le locus princeps, formule par laquelle il désigne « une suite de mots serrée et délimitable » à l’intérieur du texte pouvant être considérée comme « l’endroit spécialement consacré au nom » qui a servi de base à la composition ; le mannequin, qui est un mot ou un groupement de mots dont la première et la dernière lettre correspondent exactement à l’initiale et la finale du mot-thème (ainsi, pour l’hypogramme PriamideS, Saussure signale les mannequins Prima quieS, Perqve pedeS, Puppibus igneS, etc); et le paramorphe, qui est la forme la plus parfaite que peut revêtir le locus princeps, puisqu’il s’agit du « mannequin renfermant dans ses propres limites, nettement données par l’initiale et la finale, le syllabogramme complet » du nom propre20. Si l’on distingue assez nettement dans le poème de Lorca des passages littéralement brodés sur le canevas des syllabes du sous-titre, comme le segment Coches/peRDiDOs […] BAjo el misterio, il est remarquable que ce soit précisément au premier vers du poème, constitué de trois mots seulement, qu’il incombe de décliner, dans la consécutivité de ses constituants et non dans le désordre, le syllabogramme complet du mot-thème. En effet l’incipit du poème, qui cumule effficacement ici les trois fonctions de « locus princeps », de « mannequin » et de « paramorphe », renferme tout entier, dans les limites on ne peut plus exiguës de ses huits syllabes, l’hypogramme complet Córdoba segmenté en quatre diphones successifs que la suite du poème ne fera qu’amplifier : Coches ceRRaDOs llegaBAn.
L’hypothèse saussurienne du mannequin trouve sinon une confirmation du moins un élément susceptible d’y contribuer dans les recherches menées par Bruner et O’Dowd sur la perception des mots et sur les mécanismes activés par la mémoire au cours de leur mobilisation par le sujet parlant21. L’une des expériences mises au point par les auteurs pour identifier les positions qui dans les limites du mot retiennent le plus notre attention au stade de la perception, consistait à soumettre aux sujets interrogés des mots partiellement défigurés pour leur identification. Chaque mot, présenté au moyen d’exposition tachistoscopiques extrêmement brèves pour empêche que l’œil du lecteur ne puisse en faire plusieurs saisies et pour limiter ainsi chaque exposition à une seule fixation, comportait une inversion de deux lettres contiguës soit au début, soit à l’intérieur, soit à la fin du mot. Ainsi, pour le mot AVIATION, et par métathèse soit des deux premières lettres, soit des deux lettres centrales, soit des deux dernières lettres, les formes VAIATION, AVITAION et AVIATINO, respectivement. Le résultat de l’expérience fait apparaître que l’identification du mot-cible (ici le mot AVIATION) est d’autant plus complexe et laborieuse que les extrémités du mot ont été altérées, le signifiant le plus immédiatement reconnaissable étant, d’abord, celui qui a subi une modification à l’intérieur (AVITAION), ensuite celui qui présente une altération à la fin (AVIATINO), puis enfin celui qui a été modifié à l’attaque (VAIATION). Autrement dit, le mot qui apparaît comme le moins « défiguré » de la série et, par conséquent, comme le plus immédiatement reconnaissable est généralement, et pour reprendre la terminologie de Saussure, celui dont le mannequin a été préservé. Si la reconnaissance du mot-cible – que l’on peut assimiler au « mot-thème » – est d’autant plus aisée que les deux extrémités du mot sont restées intactes, c’est donc, comme l’avait pressenti Saussure, que l’initiale et la finale du mot – c’est-à-dire le mannequin – sont des points stratégiques, des cultures prégnantes investies d’un pouvoir mémoriel tout particulier et aptes, plus que toute autre position, à stimuler la mémoire diagrammatique du récepteur et à déclencher l’association anagrammatique22.
Comme la rime ou le mètre, l’anagramme a donc une valeur de contrainte.
Certaines correspondances anagrammatiques témoignent d’ailleurs d’automatismes associatifs analogues à ceux qui, dans le langage courant, président aux phénomènes de « collocation »23. On sait par exemple qu’en espagnol il y a neuf chances sur dix pour que, dans certains contextes, l’ignorance soit qualifiée de supina, l’ennui de soberano, l’actualité de rabiosa, l’erreur de garrafal, le succès de fulgurante ou l’échec d’estrepitoso. De même, certains signifiants onomastiques sont associés, par connotation sémiotique, à des signifiants qu’ils induisent plus ou moins automatiquement dans le discours, sous l’effet de ce que Saussure appelle une «sociation psychologique ». Saussure remarque en effet qu’au cours de sa dérivation anagrammatique un nom comme Xerxes appelle souvent, dans les compositions qu’il a examinées, le signifiant exercitus avec lequel il entretient d’évidents rapports d’analogie formelle, que les noms en –machus sont souvent évoqués par le biais de l’adjectif magnus ou que le nom Spitamenes appelle presque systématiquement dans le discours l’adverbe tamen qu’il contient entièrement en lui24.
Sans doute est-ce un lien sémiotique analogue qui, déclenchant la « sociation psychologique », relie le nom d’Unamuno au signifiant unanime qui, présent dans plusieurs poèmes dédiés à l’écrivain, revient comme une sorte de leimotiv, au sens pleinement musical du terme, sous la plume d’auteurs aussi divers que Blas de Otero25, qui dans Calle Miguel de Unamuno écrit : « que no se queje Unamuno / que ha habido UNANIMIDAD » ; ou Juan José Domenchina26, auteur d’un sonnet intitulé Miguel de Unamuno où l’on peut lire : « te dolía / España, nunca UNÁNIME Unamuno » ; ou encore Antonio Machado27 dans son poème A don Miguel de Unamuno, dont les derniers vers sont le théâtre d’une dérivation étymologique « alma desalmada […] ÁNIMA española » efficacement soutenue dans les derniers vers par la répétition alternée des nasales n et m, qui à elles seules font l’anamnèse du nom propre bueN MaNchego. « DoN Miguel caMiNa / jiNete de quiMérica MoNtura / MetieNdo espuela […] siN Miedo de la leNgua que MalsiNa »28. À ces rapprochements paronymiques s’ajoutent les réminiscences onomastiques plus ou moins diffuses que le texte peut faire surgir par anaphonie. Ainsi, c’est le nom de Berceo, à qui Machado dédie dans Campos de Castilla son poème intitulé « Mis poetas », qui se laisse lire et entendre sous l’alexandrin « Su VERso es dulCE y grave : mOnÓtOnas hileras », le nom du dédicataire étant non seulement anagrammatisé mais aussi dévalisé, sous l’effet du « dépeçage »29 syllabique, et réinterprété comme un signifiant complexe issu de VERso + dulCE30. Ailleurs dans le même recueil, c’est le nom d’Azorín que l’écriture machadienne prend pour modèle phonique et qui, déclenchant dans le poème une cascade de mots commençant par az- (AZota hACiendo, AZuladas, ACero) ou se terminant par –in (camINo, remolINo, ruINas, colINas), invite le lecteur « non plus à une juxtaposition, mais – comme le fait Saussure pour le Saturnien – à une moyenne des impressions acoustiques hors du temps », le vers « El viento fRío AZOta los chopos del camiNo » renfermant, dans un ordre différent mais très distinctement, le syllabogramme complet du mot-thème : azo + ri + in.
Ce dernier exemple pose enfin le problème, maintes fois souligné, de la linéarité du signe, principe que Saussure énonce sur le ton de la loi dans son Cours de linguistique générale31 et dont Michel Picard évoque avec fatalisme le caractère incontournable :
[I]l est impossible d’écouter deux mots à la fois. La linguistique postule classiquement la linéarité du langage, qu’illustre le célèbre et douloureux exemple « Paul bat Pierre ». L’ordre chronologique du syntagme en garantit le sens, tant pis pour Pierre32.
Il est vrai, comme le signale Michel Arrivé, que l’on a du mal « à imaginer Saussure écrivant le même jour, mais sur deux cahiers différents »33, d’une part, pour son Cours de linguistique générale, « le signifiant… se déroule dans le temps [et n’est] mesurable [que] dans une seule dimension » et, d’autre part, à propos du Saturnien, « [l’anagramme] invite le lecteur […] à amalgamer [les syllabes] hors du temps comme [on pourrait] le faire pour deux couleurs simultanées »34. Il reste cependant que le problème que pose ou que semble poser l’anagramme, qui apparaît comme une sorte de « scandale structural »35, n’est pas fondamentalement différent de celui que pose un procédé réputé conforme aux lois du langage comme la rime dont le propre, pourtant, est de suspendre la temporalité « chronologique » du langage au bénéfice d’une temporalité « analogique », comme l’explique justement Ramón del Valle-Inclán dans La lámpara maravillosa :
La rima junta en un verso la emoción de otro verso en el cual concierta. Hace una suma, y si no logra anular el tiempo, lo encierra y lo aquilata en el instante de una palabra, de una sílaba, de un sonido. El concepto sigue siendo obra de todas las palabras, está diluído en la estrofa, pero la emoción se concita y vive en aquellas palabras que contienen un tesoro de emociones en la simetría de sus letras. Como la piedra y sus círculos en el agua, así las rimas en su enlace numeral y musical. La última resume la vibración de las anteriores.
L’anagramme comme la rime s’inscrit dans le temps, mais dans « un temps dont la mémoire auditive [ou visuelle] peut aisément remonter le cours, [alors même] que la perception actuelle le descend irrémédiablement »36. Faire rimer des signifiants c’est à la fois faire rimer leurs signifiés par le jeu de l’invariance et de la variation et conférer à des syntagmes qui sont consécutifs toute la simultanéité d’un paradigme. L’anagramme n’étant techniquement autre chose qu’une rime disséminée dans le texte, il n’y a pas lieu, à mon sens, de dissocier leur étude37.
En effet, l’anagramme n’est qu’un cas particulier d’un phénomène plus général, relevant aussi bien de la rime et l’allitération que le mot-valise ou le lapsus38, qui est celui, éminemment subversif, de l’étymologie submorphématique. En même temps qu’elle dépasse le principe de la linéarité du signe, l’étymologie submorphématique oblitère celui de la double articulation en conférant aux phonèmes et aux traits distinctifs eux-mêmes un pouvoir de signification immédiate39, c’est-à-dire en traitant les phonèmes comme des morphèmes ou, plus exactement et pour reprendre le néologisme de Markell et Hamp, comme des « psychomorphes »40. Si la puissance de ce principe éclate dans le discours poétique, l’étymologie submorphématique spécifie le fonctionnement même du langage. C’est elle qui, par exemple, inscrit dans le signifiant de l’adverbe interrogatif cuándo, à qui le gérondif semble avoir prêté sa désinence, l’image d’un temps en devenir, comme le fait apparaître le sonnet Gerundio de Mario Benedetti :
Pensando afirmo mis veredas ando Memoria haciendo y vida desviviendo A la chita callando e in crescendo Dijo el fulano así vamos tirando
Apostando a mi fe ¿pero hasta cuándo Habrá para el desgarro otro remiendo Si en la vieja frontera sigo viendo Pasar mi juventud de contrabando?
Íngrimo y solo en este mar de fondo Lejano de mi prójimo iracundo
No soporto el azar / ilustre / orondo
en tant que procédé d’écriture de l’anagramme en tant que procédé de lecture. Complémentaires, ces deux points de vue impliquent cependant des parcours radicalement différents : dans un cas il s’agira de définir les mécanismes qui ont génétiquement permis la dérivation anagrammatique ; dans l’autre, c’est l’aptitude du discours à déclencher, je dirais « malgré lui », des associations anagrammatiques, qui sera principalement prise en considération. Cette distincion peut paraître superflue, mais elle revêt des implications méthodologiques importantes, car elle rend compte de la dissymétrie fondamentale – trop souvent ignorée – qui oppose l’écriture à la lecture, opérations qui, considérées l’une comme l’inversion de l’autre, font appel à des mécanismes sensiblement différents – la lecture étant autre chose qu’une virtuelle et illusoire désécriture – et qui mettent en cause des chronologies également différentes, pour ne pas dire diamétralement opposées : invariablement linéaire à l’émission, l’anagramme ne se soustrait à l’axe des successivités et à la temporalité qu’à la réception. Cf D Shepheard, « Saussure et la loi poétique », Présence de Saussure, Actes du colloque international de Genève (21-23 mars 1988), Genève, Droz, 1988, p244
Pero frente al espejo vagabundo Viéndome mondo / aullándome lirondo Desciendo a mi gerundio más profundo41
C’est elle aussi qui, comme l’a montré Nadine Ly, confère au signifiant todavía42, malgré son statut adverbial, tous les attributs et les valeurs temporelles et aspectuelles d’un imparfait en –ía dans la poésie d’Antonio Machado. C’est elle qui garantit la cohésion d’une œuvre comme le Cantar de mio Cid, en sémiotisant le lien qui unit le chevalier chrétien Campeador à son allié maure Avengalvón, mieux que ne le ferait apparaître l’analyse actanciel du récit, la parfaite complémentarité des deux personnages. C’est encore elle qui guide la pensée analogique de Jean-Pierre Brisset lorsqu’il met en résonance l’énergie verbale de l’infinitif avec le mouvement que déclare le verbe latin ire dont i fait dériver la désinence de tous les infinitifs romans :
En examinant les terminaisons de l’infinitif futur des verbes des langues latines : are, ar, er, ere ir, ire, aire, re, ore, oire, oir, ure, etc., nous fûmes frappés de leur analogie et nous conclûmes que cette terminaison avait une commune origine ; que cette origine ne pouvait être que logique et que c’était le verbe latin ire (aller) sous différentes formes43.
Enfin, et de manière plus anecdotique, c’est elle qui, dans un acte « d’autodévoration logophilique », conduit Michel Pierssens44 à lire sous le nom de Saussure l’anagramme de Saturne…
Qu’il s’agisse de lire des mots sous les mots, de les faire dériver les uns des autres ou simplement de les mettre en résonance, le mécanisme analogique est toujours et partout le même qui garantit, en la signalant, la coalescence du son et du sens. S’il n’y a pas lieu de dissocier des pratiques signifiantes en apparence aussi diverses que celles qui viennent d’être évoquées c’est parce que chacune d’entre elles offre la possibilité d’écrire une grammaire de l’interaction du son – dont la valeur est toujours fonction du rapport qui le relie à d’autres unités du système –, de la répétition qui fonde ce rapport et du sens qui en émerge. Une sémiologie45 des « figures sonores » ne peut se construire en dehors du double axiome dans la perspective duquel se développe le langage naturel, à savoir : 1) le son construit le sens, 2) sa répétition en assure la permanence. C’est sans doute là que réside l’intérêt de la pensée de Saussure, qui en découvrant la présence de mots cachés sous les mots a mis en lumière l’existence d’une syntaxe cachée sous la syntaxe : une vraie syntaxe des sons construite à l’image de celle qui, au niveau supérieur de l’analyse, gouverne les mots ou commande la phrase.
1 Cité dans J. Starobinski, Les mots sous les mots. Les anagrammes de Ferdinand de Saussure, Paris, Gallimard, 1971, pp20-21
2 J. Starobinski, Les mots…, pp128-129
3 J. Baetens, « Postérité littéraire des anagrammes », Poétique, n°66, 1986, p223
4 Conscient de toutes ces difficultés, Saussure va jusqu’à solliciter par correspondance les poètes latinisants modernes qu’il croit détenteurs d’un savoir-faire transmis plus ou moins secrètement de maître à élève dans la continuation d’une « très pure tradition »
5 Aux travaux des auteurs que nous mentionnons le long de ces pages s’ajoutent ceux, cités en bibliographie, de JM Adam, S Avalle d’Arco et C Bouazis, F Bader, H W Bergerson, LJCalvet, R Detambel, M Dupuis, L Finas, F Gadet, M Grangaud, F Goyet, C Harroche et P Henry, M Laugaa, S Kim, G Mounin, F Rastier, J Risset, JM Rey et P Wundedi
6 T Aron, « Une seconde révolution saussurienne », Langue française, n°7 1970, pp59-60
7 J’emprunte l’expression à Nadine Ly, qui l’a employée plusieurs fois au cours des séances de travail du GRIAL consacrées au problème de la lecture
8 J Kristeva, « Pour une sémiologie des paragrammes », Recherches pour une sémanalyse, Paris, Seuil, 1969, p119. On a souvent signalé le lien étroit qui relie anagramme et intertextualité. J Starobinski, Les Mots…, p79 : « Développée dans toute son ampleur, l’anagramme devient un discours sous le discours. » On peut mentionner, à titre d’exemple, les vers inauguraux du poème salinien La voz a ti debida qui sont le théâtre d’un double jeu anagrammatique et paragrammatique. Le titre du recueil, tiré comme on le sait d’un vers de la troisième églogue de Garcilaso – que le poète retranscrit sous forme d’épigraphe à l’ouverture du recueil –, dit ce que la voix poétique doit au discours à la fois amoureux et métapoétique dont se nourrit son propre discours, telle une « reconnaissance de dette » de l’écriture salinienne (debida étant la forme étymologique de deuda) envers l’auteur de l’églogue. Amplification poétique du titre, les quelques deux mille cinq cent vers que compte le recueil ne font en effet que décliner l’un après l’autre les différents effets de sens implicitement contenus dans le syntagme nominal. Motivant le texte de Salinas, la voix de Garcilaso prolonge ses résonnances au-delà du titre et de l’exergue qui le reprend dans la première strophe du recueil, significativement encadrée par les vers : « Tú vives siempre en tus actos. […] La vida es lo que tú tocas ». Au jeu dérivationnel qui relie ici les deux mots d’ouverture vives / vida s’ajoute le jeu anagrammatique qui relie les deux mots de fermeture actos / tocas, jeu sinon programmé du moins induit par la configuration lexicale des vers qui précède immédiatement dans l’églogue le syntagme prélevé par Salinas où les mots toca et vida apparaissent précisément en position de rime : « Y aun no se me figura lo que me toca / aqueste oficio solamente en vida, mas con la lengua muerta y fría en la boca pienso mover la voz a ti debida. » A son tour le jeu interlocutif sur lequel est construit le poème de Salinas, jeu par lequel la voix poétique ne cesse d’afficher son pouvoir démiurgique à donner littéralement la vie par la parole à l’être linguistique auquel s’adresse le Moi, invite, par une sorte de rétromotivation, à dévaliser le syntagme nominal La voz a ti debida « la voix qui t’es due » et à y lire l’énoncé optatif et performatif La voz a ti dé vida « que la voix te donne la vie ». Si le poème de Garcilaso est l’étymon textuel du poème de Salinas, ce dernier, à son tour, met en lumière son fonctionnement en signalant la connexion sémiotique qui relie les signifiants vida et debida, signifiants que Garcilaso fait rimer dans son églogue. En réécrivant les vers de Garcilaso, Salinas ne fait en somme qu’explorer un réseau analogique dont il dynamise, en les réexploitant, les structures latentes.
9 C’est moi qui souligne
10 J Baetens, « Postérité littéraire… » p225
11 A Herrero, « La silabación escrita. Anagramatismo en la poesía de Antonio Machado », Bulletin hispanique, 1, janvier-juin 1996, p208
12 Alors qu’il s’interroge sur la possibilité de repérer dans la poésie médiévale des phénomènes analogues à ceux relevés par Saussure dans la poésie latine, Paul Zumthor, qui auparavant avait nié pour ces mêmes œuvres l’existence de paragrammes conformes aux postulats saussuriens, fait paradoxalement et assez inexplicablement table rase des principes formulés par le linguiste genevois dans l’étude, peu convaincante, qu’il consacre à la poésie des troubadours, en réduisant sa recherche à une pure quantification statique des phonèmes contenus dans l’hypogramme recherché, le mot amor que Saussure lui-même n’aurait pas manqué de ranger au nombre des « hypogrammes faciles » se prouvant nuls.
13 Exception faite de quelques études comme celle, très brève, que consacre Jean Starobinski à l’analyse, à partir des principes formulés par Saussure, du distique de Rodolphe Simler de Zurich composé en l’honneur de Félix Plater, épigramme inclus dans les Quaestionum Medicarum de ce dernier et construit conformément au « modèle idéal » saussurien « de manière à rendre audible et visible le nom latinisé de Thomas Platerus, père de Félix » cf J Starobinski, « Un anagramme de la Renaissance conforme au modèle idéal saussurien », Présence de Saussure. Actes du colloque international de Genève (21-23 mars 1988), Genève, Droz, 1990, p233
14 J Baetens, « Postérité littéraire… » p217
15 Ce qui revient à dire d’une découverte de la « littéralité », du texte littéraire. On ne peut qu’être frappé, à cet égard, par l’étrange orientation référentielle qu’imprime Michael Riffaterre à la théorie de Saussure lorsqu’il écrit : « Le coup de génie de Saussure […] a été de comprendre que le véritable centre du texte est en dehors de ce texte, et non dessous, ou caché derrière [… ]. La véritable signifiance du texte réside dans la cohérence de ses références… » cf M Riffaterre, « Paragramme et signifiance », La production du texte, Paris, Seuil, 1979, p76. C’est moi qui souligne.
16 Exemples signalés par Karine Ballaguer dans son mémoire de maîtrise inédit Sur le discours poétique d’Antonio Machado dans « Campos de Castilla », Bordeaux, 1997. Les vers cités sont tirés respectivement des poèmes Fantasía iconográfica, En tren, Los jardines del poeta et Desde mi rincón.
17 Romancero gitano
18 L’autre « erreur » de Saussure étant d’avoir posé le problème de l’anagramme en termes d’intentionnalité et d’avoir cherché à démontrer à tout prix que l’anagramme est une pratique consciente et toujours voulue par le poète
19 R Jakobson, Essais de linguistique générale. Les fondations du langage, Paris, Minuit, 1963, p242
20 J Starobinski, Les mots…, pp50-51
21 R Brown, D McNeil, « The tip of the Tongue Phenomenon », Journal of verbal learning and verbal behaviour, 5, 1966, p336
22 Le travail associatif (étymologique, analogique, paronomastique ou dérivationnel) qui dirige l’écriture poétique – ou narrative, comme l’a montré Jean Ricardou – trouve, comme je l’ai suggéré ailleurs (« El saber del escritor : por una teoría de la cita », Bulletin hispanique, 97, n°1, janvier-juin 1995, p361-374), une possibilité d’analyse intéressante dans le phénomène que Roger Brown et David McNeil ont appelé The tip of the Tongue phenomenon et que l’on désigne ordinairement par l’expression « je l’ai sur le bout de la langue ». Roman Jakobson (La charpente phonique du langage, Paris, Minuit, 1980, p279), évoque aussi « cet état où l’on ne parvient pas à se rappeler un mot connu, le plus souvent un nom propre, tout en y arrivant presque, soit que l’on se remémore des mots phonétiquement semblables, soit que l’on essaie les uns après les autres des vocables inventés pour l’occasion qui contiennent les quelques éléments du nom recherché dont on se souvient ». Le sujet voit alors défiler dans sa mémoire des graphismes, des sonorités, des rythmes, mais aussi des « bribes » de discours déjà lus, déjà entendus ou déjà produits et, au-delà des structures linguistiques, des formes, des couleurs, des situations de parole… Ce phénomène, que l’on peut mutatis mutandis rapprocher des mécanismes associatifs qui commandent l’écriture, montre que si la recherche d’un mot peut être déclenchée à partir d’un seul accent, d’un seul phonème ou d’une seule structure morphosyntaxique, c’est donc que le rythme, l’intonation, la syntaxe, etc. agissent comme de puissants stimuli et sont autant de structures prégnantes pouvant fonctionner comme éléments inducteurs dans le discours.
23 G Corpas Pastor, Manual de fraseología española, Madrid, Gredos, 1997, p53-57
24 Sans doute faudrait-il mettre au nombre de ces sociations psychologiques des correspondances sémiotiques comme ojos/enojos daño/desengaño pena/cadena, etc., déclinées jusqu’à l’exténuation dans la poésie classique.
25 Que trata de España
26 Exul umbra
27 Campos de Castilla, d’où sont également tirés les poèmes qui suivent.
28 La suite consonantique N M N M N, qui fait écho au titre du poème (A doN Miguel de UnaMuNo), confère à ces vers une valeur anaphorique analogue à celle que Saussure accorde au vers « Mors perfecit tua ut essent », dont la succession vocalique O E I U reproduit dans l’ordre, selon l’auteur, celle du nom propre Cornelius.
29 J Baudrillard, « L’anagramme », L’échange symbolique et la mort, Paris, Gallimard, 1976
30 Le segment verso es permet d’ailleurs d’obtenir, par une simple métathèse, le nom complet du poète : versseo 31 La théorie de l’anagramme ébranle le principe même de l’arbitraire du signe, que Saussure lui-même problématise dans son Cours. Cf R Engler, « Théorie et critique d’un principe saussurien. L’arbitraire du signe », Cahiers Ferdinand de Saussure, n°19, 1962, p7-65
32 M Picard, Lire le temps, Paris, Minuit, 1989, p20
33 M Arrivé, Langage et psychanalyse, Linguistique et Inconscient (Freud, Saussure, Pichon, Lacan), Paris, PUF, 1994, p61
34 Devant l’apparente « dualité » de la pensée saussurienne, sans doute est-il judicieux, comme le fait remarquer Jean Baetens (« Postérité littéraire… » p219), « de ne pas trop pousser [comme on le fait souvent] l’antinomie des deux Saussure et de chercher à construire l’ambivalence d’une pratique tant linguistique que poétique ». Par ailleurs considérer l’anagramme comme un aspect marginal dans la pensée du linguiste, c’est oublier, par exemple, qu’à l’âge de quinze ans Saussure écrit un Essai pour réduire les mots du grec, du latin, de l’allemand à un petit nombre de racines ou ignorer l’intérêt porté par l’auteur à des phénomènes tels que la glossolalie ou la xénoglossie. Cf notre étude « Ecrire en langues. Un cas de glossolalie poétique : la jitanjáfora de Mariano Brull », Pays de la langue. Pays de la poésie, Pau, Laboratoire de recherches en langues et littératures romanes – Editions Covedi, 1998, p185-195
35 La définition de l’anagramme dépend du point de vue, opératif ou résultatif, que l’on adoptera et varie selon que l’on considère le phénomène du point de vue de la production du texte ou du point de vue de sa réception. Comme il existe une linguistique du locuteur centrée sur la construction du message et une linguistique de l’auditeur centrée sur l’interprétation de son contenu par le récepteur, il conviendrait de distinguer l’anagramme
36 P Zumthor, « Des paragrammes chez les troubadours », Langue, Texte, Enigme, Paris, Seuil, 1975, p56
37 Il est probable, explique Saussure à Meillet dans une lettre qui ne figure pas parmi les morceaux choisis de Starobinski, que les différents jeux phoniques de la versification sont partis de l’ anagramme (Cahiers Ferdinand de Saussure, 21, 1964, p114). La rime serait-elle historiquement un résidu fossilisé et plus ou moins démotivé (c’est-à-dire détaché de sa fonction onomastique première) des jeux anagrammatiques ?
38 Pour ces questions nous renvoyons le lecteur aux travaux d’Almuth Grésillon et de Mario Rossi et Evelyne Peter-Defare
39 R Jakobson, La charpente…, p280
40 Ibid, p242
41 Cf également le ai Kai en gerundio de J Lezama Lima : « El toro de Guisando no pregunta cómo ni cuándo, va creciendo y temblando. ¿Cómo? / Acariciando el lomo de escarabajo de plomo, oro en el reflejo de oro contra el domo. ¿Cuándo? En el muro raspando, no sé si voy estando o si estoy ya entre los aludidos de Menandro. ¿Cómo? ¿Cuándo? / Estoy entre los toros de Guisando, estoy también entre los que preguntan cómo y cuándo. Creciendo y raspando, tembiando. »
42 Pensons également aux effets spectaculaires que le poète César Vallejo tire de ce signifiant dans Trilce IX. Cf notre étude « Transtexuality in the writing of César Vallejo : from verbal to textual etymon », The poetry and poétics of César Vallejo, Nottingham, The Edwin Mellen Press, 1997, p17-25
43 Cité par M Pierssens, La tour de Babil. La fiction du signe, Paris, Minuit, 1976, p105
44 Ibid, p88: « Dans le nom même de Saussure réside la formule de cette autodérivation logophilique – si, tout au moins, nous suivons les règles mêmes de sa pratique : ce nom n’anagrammatise-t-il pas celui de « Saturne » en ne laissant, pour que de l’un l’autre surgisse, un reste qui pose leur identité – Saussure saturnus est ? »
45 A propos d’une étude inédite de Saussure, R Jakobson (Essais de linguistique générale. Rapports internes et externes du langage, Paris, Minuit, 1973, p295) commente : « Ainsi, il inaugure et décrit une nouvelle discipline : la phonétique sémiologique s’occupe des sons et des successions de sons dans chaque idiome en tant qu’ayant une valeur pour l’idée. »