Anne Tyler
Traduit de l’anglais (américain) par Benjamin AGUILAR LAGUIERCE
Elle se voit en train de marcher le long de la rue un jour avant de tomber au coin de la rue sur Will Allenby en personne. Il aurait la même apparence d’avant, il serait simplement plus vieux. (Dans une pensée après coup, elle rend ses cheveux poivre et sel et grave deux faibles rides attirantes à la commissure de ses lèvres). « Rebecca ? » l’interpellerait-il. Il s’arrêterait. Il la regarderait. « Rebecca Holmes ? ».
Idéalement, il ne se serait pas marié ou alors il se serait marié mais aurait trouvé sa femme vide d’une certaine manière, jamais à la hauteur de ses souvenirs avec Rebecca, et maintenant qu’il serait divorcé et qu’il vivrait dans les environs (disons dans l’un de ces grands immeubles de luxe qui surplombaient le port). Oh, ce n’était pas si tiré par les cheveux que ça !
Le ce qui aurait pu être se transforma imperceptiblement en un ce qui pourrait encore se passer, un délire bien plus satisfaisant encore. Il l’inviterait à un diner intimiste. Il se pointerait avec une bouteille de vin et l’assiérait à table à proximité de la baie vitrée d’où les lumières des bateaux scintilleraient comme des étoiles en contrebas et d’où la pancarte de Domino Sugars luirait au loin. « Alors, dis-moi, Will » se lancerait-elle, mais il placerait sa main contre la sienne et lui dirait : « Ne se connait-on suffisamment bien pour ne pas à avoir à dire de banalités ? ».
Anne Tyler, Back when we were grown ups (extrait)